Nous venons d’entendre la lecture d’une parabole bien connue qui n’est relatée que par l’évangile de l’apôtre Luc : celle du bon samaritain (Lc 10, 25-37). Elle met en scène un voyageur, attaqué et blessé par des bandits. Alors qu’il gisait au bord de la route, un prêtre et un Lévite, tous deux juifs, passent à côté de lui et sans s’arrêter, sans lui prêter attention. Leur attitude peut s’expliquer du fait que la Loi mosaïque interdisait aux sacrificateurs de toucher les morts : « Un sacrificateur ne se rendra point impur parmi son peuple pour un mort » (Lév 21,1). Cette règle s’appliquait de façon rigoureuse aux serviteurs du culte, prêtres et lévites. Sans doute que ces deux premiers passants étaient appelés par leur devoir religieux… Mais un troisième vint à passer, qui était un Samaritain, appartenant donc à une population que les Juifs considéraient comme impie. Celui-ci, par contre, s’arrête et s’occupe du blessé, qui pourtant n’était pas de sa religion, en lui prodiguant des soins, l’amenant dans auberge et donnant de l’argent pour qu’on le soigne jusqu’à son retour.
Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ raconta cette parabole en réponse à la question que lui avait posée un docteur de la Loi : « qui est mon prochain ? » (Lc 10, 29). Cette question était apparue durant une discussion initiée par ce docteur de la Loi, qui d’après l’évangéliste Luc, voulait mettre notre Seigneur à l’épreuve, en lui demandant ce qu’on devait faire pour hériter de la vie éternelle. Le Christ avait retourné la question, en demandant au docteur ce qui était écrit dans la Loi. Ce dernier avait répondu en citant la règle d’or de la Loi mosaïque : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (Lc 10, 27 ; cf. Lév 19, 17-18). L’ayant félicité pour sa réponse, le Seigneur l’exhorta : « Fais ainsi et tu auras la vie » (Lc 10, 28). Comme pour se justifier de ne pas savoir envers quel prochain il devait pratiquer la miséricorde, le docteur pose la question de savoir qui est son prochain. C’est alors que le Seigneur raconte cette parabole. A la fin de celle-ci, il lui pose de nouveau une question question : « Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme qui était tombé entre les mains des bandits ? » (Lc 10, 36). Le félicitant d’avoir reconnu que c’était le Samaritain, notre Seigneur exhorte le docteur en disant : « Va, et toi aussi, fais de même ! » (Lc 10, 37). Une fois de plus, notre Seigneur Jésus-Christ insiste sur le fait que ce qui nous sauve n’est pas une observance aveugle de la Loi, mais la miséricorde… Mais de qui provient la véritable miséricorde sinon que de Dieu lui-même…
En effet, les Pères de l’Église ont reconnu dans cette parabole sous les traits de l’homme tombé entre les mains des brigands Adam qui fut tenté et qui déchut. La route entre Jéricho et Jérusalem est le cheminement entre le monde et le Royaume de Dieu. Cet homme se rendait de Jérusalem à Jéricho : il s’agit d’Adam tombé du Paradis. Adam à son tour incarne ou personnifie l’humanité tout entière. Ainsi, le sujet de toute cette parabole est le salut de l’humanité. Sous les traits des bandits, les Pères ont reconnu les forces démoniques ennemies qui tentent constamment l’être humain. Sous les traits du prêtre, la Loi ; sous ceux du lévite, les prophètes – qui, bien qu’ayant une valeur de pédagogue, étaient impuissants à nous sauver. Et enfin, sous la figure du bon Samaritain, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Placé face à Adam, le Bon Samaritain symbolise notre Rédempteur, le Christ, le nouvel Adam, qui confie l’homme à l’auberge où fut accueilli l’homme blessé qui symbolise l’Église qui prend soin du salut de l’homme (cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies III, 17, 3 ; Origène, Homélie sur Luc 34, 3).
Le Bon Samaritain symbolise notre Rédempteur, le Christ, le nouvel Adam
Il est important de prêter attention à deux versets de cette parabole. Notre Seigneur dit que le Bon Samaritain s’approcha, pansa les plaies du blessé « en y versant de l’huile et du vin » (Lc 10, 34). A son tour, le docteur de la Loi reconnaît comme le prochain de l’homme blessé « celui qui a fait miséricorde » (Lc 10, 37). Il y a ici, dans le texte grec original de l’évangile, un jeu de mot entre l’huile (elaion) et la miséricorde (eleos). En répandant de l’huile, le Bon Samaritain représente le Christ, notre Sauveur, qui répand sa miséricorde. D’ailleurs, très souvent l’huile ou l’olive symbolise le salut. Nous comprenons donc pourquoi, après le déluge, une colombe annonce à Noé le salut en tenant en son bec une branche d’olivier (Gn 8, 11). Nous comprenons alors mieux que l’huile soit utilisée dans notre liturgie comme signe visible de la grâce invisible dans le sacrement du baptême et dans l’onction des malades. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la parabole du Bon Samaritain est lue lors du mystère de l’onction des malades, pour nous rappeler que c’est le Christ Sauveur, le médecin de nos âmes et de nos corps, qui nous soigne et qui nous sauve à travers l’huile qui est répandue qui représente son infinie miséricorde.
En répandant de l’huile, le Bon Samaritain représente le Christ, notre Sauveur, qui répand sa miséricorde
Nous pouvons considérer que dans la parabole d’aujourd’hui, nous, les chrétiens, sommes à la fois représentés comme le blessé abandonné au péché et qui se laisse sauver par le Christ, de même que comme l’hôtelier, le membre de l’Église, à qui est confié la parole du Seigneur pour qu’il l’utilise sans limite, jusqu’à Son retour, pour prendre soin de son prochain en pratiquant la miséricorde. Le Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe réuni en Crète l’été dernier nous l’a rappelé, en faisant une référence explicite à cette parabole : « À la question, ‘qui est mon prochain ?’, le Christ a répondu avec la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 25-37). Il a ainsi enseigné d’abolir toute barrière d’inimitié et de préjugé. L’Église orthodoxe confesse que chaque être humain – indépendamment de couleur, de religion, de race, de sexe, de nationalité et de langue – est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, et qu’il jouit des mêmes droits dans la société. Conformément à sa foi, l’Église refuse la discrimination […] supposant une distinction dans la dignité entre personnes » (Mission de l’Église, E.2).
En tant que membres de l’Église, nous sommes appelés à imiter le Christ en pratiquant la miséricorde autour de nous
Dans la parabole d’aujourd’hui, le Christ exhorte le docteur à imiter le Bon Samaritain et à faire de même. Il lui commande donc d’être son imitateur, et par là, il nous exhorte, nous aussi, à l’imiter. L’apôtre Paul nous enjoint : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ » (1 Co 11, 1). En tant que membres de l’Église, nous sommes appelés à imiter le Christ en pratiquant la miséricorde autour de nous. Le Christ a aimé l’humanité tout entière et s’est offert en sacrifice sur la Croix pour le salut de tous. Nous devons donc imiter son amour, et pratiquer la miséricorde sans distinction, sans discrimination, en reconnaissant en chaque être humain une image de Dieu. L’enseignement de la parabole d’aujourd’hui est donc que si nous imitons l’attitude du Bon Samaritain, qui personnifie notre Sauveur, en « faisant de même », nous obtiendrons la vie éternelle dans notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos