« Seigneur, Seigneur, regarde du haut des cieux et vois, et visite cette vigne, et fortifie-la, celle que ta droite a planté ! » (Ps 79, 14-15)
C’est par ces paroles tirées du Psalmiste qu’à chaque Divine Liturgie célébrée par un évêque, celui-ci bénit l’assemblée qui est réunie pour la Divine Liturgie eucharistique lors du chant du Trisagion. Il est clair dans ce contexte que la vigne, que la droite du Seigneur a plantée, désigne l’Église. L’Église de Dieu qui, selon les Pères, était déjà conçue mais pas encore réalisée dans l’Ancien Testament ou, comme le disent les Pères d’avant le Concile de Nicée (325), « existait d’avant les siècles » dans le dessein de Dieu. Et c’est de cette Église qu’il est question dans la parabole des vignerons iniques (Mt 21,33-42) que nous venons d’écouter. Nous entendons en effet que le Maître a planté une vigne et l’a laissée à des vignerons et qu’il envoie ensuite des serviteurs, pour recevoir les fruits de cette vigne, et les vignerons iniques les battent, les lapident et les tuent.
La vigne, que la droite du Seigneur a plantée, désigne l’Église
Notre Seigneur Jésus-Christ, au moment où Il raconte cette parabole à ses disciples, parle à la fois de l’Histoire sainte, où les serviteurs désignent les prophètes que Dieu avait envoyés à son peuple Israël, qui devait devenir l’embryon de cette Église en devenir. Il a envoyé ces prophètes pour exhorter et pour corriger ce peuple de Dieu vers la droiture, vers le Salut. Malheureusement, les prophètes n’ont pas été écoutés et ils ont été rejetés. C’est là que notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, dans la parabole, passe du passé au présent et pour ainsi dire au futur. Car à l’heure où il enseigne les apôtres, l’heure de sa crucifixion, de sa mort et de sa Résurrection n’était pas encore arrivée. Il s’agit là d’une annonce. Il parle déjà de sa future mort, de sa crucifixion, puisque dans la parabole, le maître envoie son fils pour corriger les vignerons et malheureusement les vignerons le tuent. Il est intéressant de noter que dans cette parabole — que l’on trouve non seulement dans l’Évangile selon Matthieu mais également dans les autres Évangiles synoptiques, selon Marc (12, 1-12) et selon Luc (20, 9-19) — Matthieu est le seul évangéliste à noter qu’ils le tuent en dehors de la vigne (Mt 21, 39) : ce qui est sans doute une référence au fait que le Christ a été crucifié sur le Golgotha, qui se situait à l’extérieur des murs de la Ville sainte.
Cette pierre d’angle qui a été rejetée est notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ
Le passage d’aujourd’hui se conclue par ces paroles : « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue pierre d’angle » (Mt 21, 42 ; cf. Ps 117, 22-23). Quelle est donc cette pierre d’angle qui a été rejetée ? Bien entendu il s’agit de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, rejeté par l’ancien Israël, mais qui est devenu la pierre d’angle du nouvel édifice qu’est l’Église. En effet, dans les Saintes Écritures, l’apôtre Paul nous dit que nous avons comme fondement les prophètes et les apôtres et que nous avons comme pierre angulaire le Christ notre Sauveur (Ép 2, 20-22).
La vigne est en effet l’une des trois images que l’on retrouve dans le Nouveau Testament pour figurer et symboliser l’Église. Ainsi cette image, qui apparaît dans la parabole d’aujourd’hui, reprend celle de la vigne de l’Ancien Testament et elle est reprise par le Christ lui-même dans l’Évangile de Jean, où il dit : « Je suis la vigne véritable et vous êtes les sarments » (Jn 15, 1-12). Puis, pour symboliser l’Église, Paul développe aussi l’image du corps et des différents membres du corps (1 Co 12, 12-31). Nous savons que dans l’organisme humain, il y a plusieurs membres, plusieurs parties, chacune ayant ses fonctions spécifiques. Ainsi, dans cette image du corps qu’est l’Église nous sommes tous des membres et le Christ en est la tête. Enfin, il y a une troisième image de l’Église qu’emploie saint Pierre dans sa première Épître (1 Pi 2, 4-8) et qui est aussi reprise dans d’autres écrits apostoliques comme le Pasteurd’Hermas. C’est l’image du bâtiment qui est en train d’être construit et dont nous sommes les pierres vivantes. Bien évidemment, comme le disent les apôtres Pierre et Paul, dans cet édifice qui est en construction, la pierre angulaire est le Christ. Et cet édifice est construit sur le fondement que sont les apôtres et les prophètes.
La parabole d’aujourd’hui illustre donc toute l’Histoire du Salut, qui consiste dans le fait que Dieu a placé l’homme au paradis, comme prêtre et gardien de la Création, mais que malheureusement l’homme par son libre choix s’est détourné de Dieu et qu’il est tombé dans le péché, ce qui a entrainé sa mort. Cependant, Dieu veut le Salut des hommes, c’est pourquoi il n’abandonne pas l’humanité et il envoie ses prophètes et ses apôtres pour les ramener l’homme au Salut. Tout cela, tout ce mystère du Salut, se réalise dans l’Église qui est le corps du Christ. Or, nous avons trop souvent tendance à considérer l’Église comme une institution et, de ce fait, nous avons tendance à critiquer ses imperfections humaines. Mais nous oublions que l’Église est avant tout et par-dessus tout un organisme vivant, qui est le corps du Christ dont nous sommes appelés à devenir les membres. Au sein de cet organisme, qui est le corps vivant du Christ et qui est un organisme salutaire, nous recevons ce salut à travers les sacrements, qui sont dispensés dans l’Église par la grâce du Saint-Esprit, et en suivant l’enseignement de l’Évangile. Étant donc appelés à devenir des membres de cet organisme vivant, nous sommes appelés à porter des fruits, car le Christ nous dit dans l’Évangile de Jean : « Je suis la vigne et vous êtes les sarments ; ceux qui demeurent en moi et moi en eux porteront des fruits car sans moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5).
Membres de cet organisme vivant, nous sommes appelés à porter des fruits
Mais quels sont ces fruits que nous sommes appelés à produire ? – Ce sont bien évidement des fruits spirituels qu’évoque le saint apôtre Paul dans son Épître aux Galates (Ga 5, 22-23). Ces fruits spirituels sont avant tout l’amour car l’amour est le commandement fondateur et fondamental de l’Église. Notre Seigneur Jésus-Christ nous dit : « Aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34). Et il dit aussi que « c’est à cet amour que le monde reconnaîtra que vous êtes mes disciples » (Jn 13,35). Mais quel autre fruit spirituel peut compléter cet amour ? – Saint Paul nous dit que c’est la joie, car là où il y a l’amour, il y a nécessairement la joie. Le chrétien doit être par nature quelqu’un de joyeux, quelqu’un qui se réjouit, non pas de lui-même et de ses exploits, mais qui se réjouit de son salut en Christ, qui se réjouit de la Résurrection, qui se réjouit du fait qu’en perspective, c’est la vie éternelle qui l’attend. C’est dans cette optique que nous vivons. Et quels sont les autres fruits spirituels ? Saint Paul nous dit que là où il y a l’amour et la joie, il doit y avoir la patience. La patience est une vertu fondamentale de la vie chrétienne, car la vie chrétienne, comme vous le savez tous, car nous l’expérimentons au quotidien, n’est pas toujours une vie facile : c’est une vie qui est remplie de tentations et d’épreuves, mais le chrétien, celui qui aime et qui a cette joie et cette espérance en la Résurrection et la vie éternelle, a nécessairement la patience dans les épreuves. Il sait en effet que tourtes ces épreuves ne sont que passagères et, par son amour et son espérance, il va traverser ces épreuves. À côté de l’amour, de la joie et de la patience, il a inévitablement la bonté et la miséricorde. Car celui qui aime est quelqu’un qui a de la patience, mais aussi quelqu’un qui est généreux et qui est bon, qui est miséricordieux et qui peut pardonner facilement par sa bonté. Finalement, il y a également comme fruit spirituel la foi. Non pas la foi individuelle ou personnelle, mais la foi de l’Église, la foi du corps du Christ, la foi qui nous a été enseignée et transmise par les apôtres, et la foi qu’avaient annoncée dans l’Ancien Testament les prophètes.
Nous sommes donc appelés, chers frères et sœurs en Christ, à devenir un avec le Christ (cf. Jn 17,21), dans son Église, en restant fidèles à ses commandements et à l’enseignement de l’Évangile et à porter ces fruits spirituels. Telle est notre vocation et voilà ce qu’attend de nous notre Seigneur, le Sauveur Jésus Christ. Prions et rendons grâce au cours de cette divine liturgie pour tout ce mystère du Salut qu’Il a accompli en notre faveur. Rendons grâce qu’Il les ait donnés et qu’Il nous ait accordé de devenir les membres de son corps qu’est l’Église. Rendons grâce pour cette grâce d’avoir les sacrements qui sont dispensés à travers l’Église du Christ pour notre salut. Et essayons, au quotidien, de mettre en pratique son enseignement afin que nous manifestions et témoignions dans ce monde que nous sommes ses disciples. Et c’est ainsi que son Nom sera glorifié en ce monde, ainsi que dans le siècle à venir, là où lui revient gloire et adoration, dans les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos