Le quatrième dimanche du Carême, le Triode fait mémoire de saint Jean Climaque, un moine qui vécut au Mont Sinaï au VIe-VIIe siècle, d’abord en communauté à Raithu, puis comme solitaire, avant d’être élu higoumène au monastère du Sinaï. La plus grande partie de l’hymnographie de ce dimanche lui est consacrée bien que les détails de sa vie nous sont peu connus : « Jean, sage Père tu as élevé ton esprit vers Dieu dans la foi. Tu as méprisé l’instabilité de la confusion du monde. Tu as pris ta croix, tu as suivi celui qui veille sur tout. Tu as asservi à ta pensée le corps difficile à contenir dans les gestes de l’ascèse par la force de l’Esprit divin » (vêpres, lucernaire).
La mémoire de saint Jean a surtout été conservée grâce à son ouvrage intitulé « L’échelle », ce qui d’ailleurs lui a valu le surnom de « Climaque », c’est-à-dire « de l’échelle ». Il s’agit d’un guide spirituel qu’il rédigea à la fin de sa vie, alors qu’il était higoumène du Sinaï. En trente chapitres ou degrés, Jean nous transmet un enseignement imprégné de son expérience personnelle au sujet des vices nuisibles à la vie spirituelle (degrés 1 à 23) et les vertus qui devraient la caractériser (degrés 24 à 30). Saint Jean compare son ouvrage à l’échelle de Jacob (Gn 28, 12), et ses trente degrés aux trente années de la vie terrestre de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ : « Puisse cette échelle t’apprendre l’enchaînement spirituel des vertus » (L’échelle, degré 30, 38) écrit-il à son lecteur. « Courez, je vous en prie, avec celui qui a dit : Hâtons-nous de parvenir tous à l’unité de la foi et de la connaissance de Dieu, à l’état d’homme parfait, à la mesure de la plénitude du Christ (cf. Ep 4, 13), lequel, lors de son baptême, dans la trentième année de son âge visible, possédait en plénitude le trentième degré de cette échelle spirituelle, car Dieu est charité (1 Jn 4, 8) » (L’échelle, exhortation finale).
L’échelle est l’Évangile mis en pratique qui conduit quiconque la lit assidument jusqu’au Royaume de Dieu
Le degré suprême est donc pour lui l’amour, car, « Dieu étant amour (1 Jn 4,8)… l’amour, quant à sa nature, est une ressemblance avec Dieu, pour autant qu’il est possible aux mortels de lui ressembler ; quant à son activité, c’est une ivresse de l’âme ; quant à sa vertu propre, c’est la source de la foi, un abîme de patience, un océan d’humilité » (L’échelle, degré 30, 6-7). Saint Jean Climaque s’adresse ainsi à l’amour personnifié qui est le Christ que le patriarche Jacob a vu appuyé sur l’échelle : « Je désire vivement savoir comment Jacob te vit appuyé sur l’échelle… » (L’échelle, degré 30, 38). C’est pourquoi l’hymnographe s’adresse ainsi à saint Jean : « Sage Père, tu as entendu la voix de l’Évangile du Seigneur. Tu as quitté le monde, tenant pour rien la richesse et la gloire. Et tu as dit à tous : Aimez Dieu, et vous trouverez la grâce éternelle. Ne préférez rien à son Amour, afin, lorsqu’Il viendra dans sa gloire, de trouver le repos avec tous les saints. Par leurs prières, Christ, garde et sauve nos âmes » (vêpres, lucernaire).
L’échelle de saint Jean devint un classique dans la littérature spirituelle et ascétique qui connut un grand succès : elle fut largement diffusée, comme en témoignent le grand nombre de manuscrits conservés et fut traduite dans de nombreuses langues. La tradition liturgique de l’Église orthodoxe prévoit de lire L’échelle chaque année pendant le Grand Carême lors des offices de semaine à l’église, ou encore dans au réfectoire des monastères, où l’on trouve d’ailleurs souvent une fresque qui la représente. L’échelle est véritablement l’Évangile mis en pratique qui conduit quiconque la lit assidument jusqu’au Royaume de Dieu. Son enseignement consiste en une lutte invisible contre les mauvaises pensées, qui est une condition préalable pour gagner la paix intérieure (l’hésychia) et la prière continuelle. On comprend donc que les saints hésychastes du XIVe siècle choisirent de solenniser la mémoire annuelle de saint Jean Climaque, le 30 mars, en la déplaçant au quatrième dimanche du Carême qui ne faisait jusque-là l’objet d’aucune commémoration particulière.
Le Triode interprète la parabole du Bon Samaritain comme traitant du salut de l’humanité
L’hymnographie du Triode antérieure à l’introduction de la solennité de saint Jean Climaque interprétait l’évangile jadis lu à Jérusalem à la divine liturgie de ce dimanche : la parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 25-37). Un exemple conservé jusqu’à nos jours est le premier canon hymnographique du Triode pour ce dimanche. Il fait une exégèse spirituelle de la parabole évangélique. A la suite des Pères de l’Églises, l’hymnographie reconnaît sous les traits du Bon Samaritain notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (cf. Irénée de Lyon, Contre les hérésies III, 17, 3 ; Origène, Homélie sur Luc 34, 3) : « Le prêtre et le lévite lorsqu’ils me virent ne m’ont pas secouru et sont passés. Mais Toi, dans ta compassion, maintenant Tu m’as procuré le salut et Tu m’as sauvé » (matines, canon du Triode, ode 5).
Sous les traits de l’homme tombé entre les mains des brigands, l’hymnographie reconnaît chacun d’entre nous tombé dans les péchés : « Ô Christ, je ressemble à celui qui tomba dans les mains des brigands et fut abandonné à moitié mort sous leurs coups. Ainsi suis-je moi-même meurtri par mes péchés » (matines, canon du Triode, ode 1). Le Triode interprète donc la parabole du Bon Samaritain comme traitant du salut de l’humanité. Sous les traits des bandits, l’hymnographie voit les passions qui tourmentent l’être humain : « Les passions m’ont dépouillé de tes commandements, ô Christ Sauveur, et je suis frappé par les plaisirs. Mais Toi, verse sur moi Ton Amour » (matines, canon du Triode, ode 3).
Le Triode nous invite à prier notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ pour être délivrés de nos passions
Le Triode, dans le pèlerinage qu’il nous propose vers le Royaume de Dieu, nous invite à prier notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ pour être délivrés de nos passions. C’est aussi l’enseignement de saint Jean Climaque : « Nous qui sommes sujets aux passions, prions le Seigneur avec insistance, car tous les impassibles sont passés de la sujétion aux passions à l’impassibilité » (L’échelle, degré 28, 29). Et pour le saint higoumène du Sinaï, seule l’humilité peut les exterminer toutes, car « celui qui a pris [l’humilité] pour épouse est doux, indulgent, plein de componction, compatissant envers tous, paisible, rayonnant de joie, docile, peu contrariant, vigilant, actif, et pour tout dire, impassible, car ‘le Seigneur s’est souvenu de nous dans notre humilité et nous a délivrés de nos ennemis’ (Ps 135, 23-24), de nos passions et de nos souillures » (L’échelle, degré 25, 9).
— Archevêque Job de Telmessos