Nous venons d’entendre le récit du saint apôtre et évangéliste Luc sur la pêche miraculeuse (Lc 5, 1-11). Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ étant monté dans la barque de Pierre, arrivé au milieu du lac de Génésareth, lui ordonna de jeter les filets dans l’eau. Pierre lui répond en disant qu’ils avaient pêché toute la nuit sans succès. Mais obéissant à l’ordre du Seigneur, il jeta les filets et alors, nous dit l’évangéliste, « ils prirent une grande quantité de poissons, et leur filet se rompait… ils remplirent deux barques, au point qu’elles enfonçaient ». Saisi de crainte, Pierre confessa au Seigneur : « Seigneur, retire-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur », ce à quoi le Seigneur lui répliqua : « Ne crains point ; désormais tu seras pêcheur d’hommes ».
Dans les évangiles, nous rencontrons deux récits de pêche miraculeuse. Le récit que nous venons d’entendre dans l’évangile de Luc se situe avant la résurrection du Christ. Un autre récit se trouve dans l’évangile de Jean (Jn 21, 1-24) et se situe après la résurrection. Dans le premier récit, celui de Luc, nous trouvons la vocation des saints apôtres Pierre, Jacques et Jean, qui abandonnant leurs filets se mettent à la suite du Christ pour devenir « pêcheurs d’hommes » et qui ne quitterons jamais le Seigneur et seront ses disciples les plus proches. Dans le second récit, le saint apôtre et évangéliste Jean le théologien relate l’apparition du Christ ressuscité au même groupe de pêcheurs, confirmant par un repas pris ensemble l’aspect physique de sa résurrection et le caractère universel de la mission qui leur est confiée.
Le récit d’aujourd’hui reprend le langage symbolique biblique que nous avons déjà rencontre dans le récit de la marche sur les eaux (Mt 14, 22-34). La mer et ses vagues représente notre vie tumultueuse. L’autre rive est le Royaume de Dieu vers lequel nous nous dirigeons. La barque symbolise l’Église qui nous aide à traverser la mer de cette vie pour gagner le Royaume de Dieu. Les poissons représentent les hommes. C’est pourquoi le Christ fait de simples pêcheurs qu’étaient les apôtres des pêcheurs d’hommes, qui doivent attraper à travers les filets de l’Églises les hommes afin de les amener au salut. Les 153 poissons pêchés dans le récit de Jean le Théologien, faisant probablement allusion au nombre d’espèces de poissons connues à l’époque, souligne à la fois l’universalité du salut apporté par le Christ et la mission universelle de l’Église.
Le récit d’aujourd’hui traite donc de la mission de l’Église
Le récit d’aujourd’hui traite donc de la mission de l’Église. Il est important de rappeler que la scène de la pêche miraculeuse a lieu après que le Christ ait prêché d’abord au bord du lac de Génésareth, puis à bord de la barque. C’est donc en référence à la prédication du Christ que les apôtres sont appelés à mener leur mission. Mais le récit d’aujourd’hui n’est pas sans nous rappeler le récit de la vocation des premiers apôtres dans l’évangile selon Matthieu, où notre Seigneur, rencontrant deux frères, Pierre et André, alors qu’ils pêchaient, les appelle également à venir à sa suite : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19). Ainsi, l’Église nous rappelle par ce récit évangélique que l’enseignement apostolique qu’elle nous transmets depuis deux millénaires est fondé sur l’enseignement du Christ. Comme l’affirme saint Clément de Rome qui a vécu au premier siècle : « Les apôtres ont été dépêchés comme messagers de la bonne nouvelle par le Seigneur Jésus-Christ. Jésus-Christ a été envoyé par Dieu. Le Christ vient donc de Dieu et les apôtres viennent du Christ » (Aux Corinthiens 42, 1).
Il est remarquable de noter par ailleurs que le miracle de la pêche miraculeuse a eu lieu après que le Christ ait donné l’ordre aux apôtres de jeter leurs filets dans les eaux. Or, comme en témoigne Pierre, la nuit précédente, la pêche n’avait rien rapporté. Le miracle a lieu non seulement sur l’ordre du Seigneur, mais aussi après que Pierre, quelque peu incrédule, ait exécuté l’ordre avec obéissance. L’obéissance au Seigneur est donc le fondement de la mission de l’Église.
Les filets jetés par les apôtres sont une une certaine image de l’Église qui mène l’humanité vers le salut
La péricope d’aujourd’hui esquisse donc une certaine image de l’Église : celle des filets jetés sur le monde par les apôtres pour mener l’humanité vers le salut. Elle est à rapprocher d’une autre image développée par les évangiles synoptiques, dans la parabole de la brebis égarée (Mt 18, 12-13 et Lc 15, 3-7), où le Bon Pasteur laisse ses quatre-ving-dix-neuf brebis fidèles pour ramener celle qui s’est égarée. Cette dernière fait aussi écho à l’image du Bon Pasteur esquissé par saint Jean le Théologien dans son évangile et qui rapporte les paroles du Christ : « Je suis le Bon Pasteur. Je connais mes brebis et elles me connaissent (…) et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là, il faut que je les amène ; elles entendront ma voix, et il y aura un seul troupeau et un seul Pasteur » (Jn 10, 14-16).
L’image des pêcheurs et des poissons et celle du Bon Pasteur et de ses brebis illustrent la mission salvifique de l’Église : d’amener le monde entier au salut en Christ. Pour cela, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ à donner l’ordre à ses apôtres et à leurs successeurs qui sont les évêques placés à la tête des Églises. Saint Ignace d’Antioche, qui a vécu au Ier siècle et fut le disciple des Apôtres Pierre et Jean, dans sa lettre aux Philadelphiens rédigée dans la première décennie du IIème siècle, invite les fidèles de cette Église au respect de leur évêque autour duquel la communauté doit trouver son unité dans la charité en évoquant la figure du Bon Pasteur : « Cet évêque, je sais que ce n’est ni de lui-même ni des hommes qu’il a obtenu ce ministère au service de la communauté, ni par vaine gloire, mais par l’amour de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ. (…) Ainsi, enfants de la lumière de vérité, fuyez les divisions et les enseignements mauvais ; là où est votre berger, suivez-le comme des brebis. De fait, beaucoup de loups, apparemment dignes de foi, captivent par des plaisirs mauvais ceux qui courent à Dieu ; mais ils n’auront pas place dans votre unité » (Aux Philadelphiens 1-2).
La hiérarchie de l’Église tire son autorité du Fondateur Divin dans la perspective du salut des hommes
L’Église du Christ, tel que décrite dans les écrits du Nouveau Testament et par les Pères Apostoliques est organisée de manière hiérarchique. C’est l’évolution du ministère apostolique qui s’est développé qui a abouti au ministère de l’évêque, chef unique de son Église et garant à la fois de l’apostolicité de la foi transmise et de la véridicité de l’Eucharistie célébrée. Ainsi, la hiérarchie ecclésiastique n’a pas qu’un caractère administratif, mais est d’origine divine et tire son autorité du Fondateur Divin de l’Église, dans la perspective du salut des hommes.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, le Christ donne l’ordre aux apôtres de jeter leurs filets dans les eaux. Nous pouvons rapprocher cet ordre des trois ordonnances du Christ à ses disciples dont héritera la hiérarchie de l’Église et qui ont pour objectif le salut des hommes. La première est la mission de l’Église d’annoncer l’Évangile et de baptiser : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28,18). La deuxième est l’autorité accordée aux apôtres et à leurs successeurs, de lier et de délier : « En vérité je vous le dis : tout ce que vous lierez sur la terre sera tenu au ciel pour lié, et tout ce que vous délierez sur la terre sera tenu au ciel pour délié » (Mt 18:18). Enfin, la troisième est l’autorité accordée aux apôtres et à leurs successeurs de célébrer l’eucharistie : « Prenant du pain, [Jésus] rendit grâces, le rompit et le leur donna, en disant : ‘Ceci est mon corps, donné pour vous ; faites cela en mémoire de moi’ ».
La célébration de l’eucharistie, toujours présidée par l’évêque dans l’Église ancienne, est le lieu du rassemblement de l’Église et par conséquent l’expression parfaite du corps ecclésial qui est un corps structuré dès ses origines par la hiérarchie ecclésiastique. C’est à celle-ci qu’incombe de prêcher l’Évangile du Christ et de célébrer les sacrements « pour la vie du monde », suivant l’enseignement de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Pour tous ces bienfaits, rendons-lui de dignes actions, car c’est à lui que revient toute gloire, honneur et adoration, pour les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos