Nous venons d’entendre la lecture d’un passage de l’évangile selon saint Matthieu relatant la guérison de deux démoniaques, dans le pays des Gadaréniens (Mt 8,28-9,1). Nous retrouvons le même épisode dans les deux autres évangiles synoptiques (Mc 5, 1-20 ; Lc 8, 26-39) qui ne mentionnent qu’un seul possédé. L’épisode est assez spectaculaire. Les démoniaques vivaient dans des sépulcres. A la vue du Sauveur, ils s’écrièrent : « Qu’y a-t-il entre nous et toi, Fils de Dieu? Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps ? » (Mt 8, 29). Puis les démons prièrent le Christ de les envoyer dans le troupeau de pourceaux qui se trouvait à proximité. Et alors que le Seigneur leur ordonna de sortir et d’y aller, tout le troupeau se précipita dans la mer, et ils périrent dans les eaux (Mt 8, 31-32).
Quelle est la profondeur spirituelle et quel enseignement pouvons-nous tirer de cet épisode ? Avant tout, il faut comprendre qu’en nous relatant les miracles de notre Seigneur Jésus-Christ guérissant les malades – les aveugles, les paralysés, les lépreux, les sourds de même que les possédés, les Évangiles veulent nous le présenter comme le Messie attendu, accomplissant toutes les prophéties de l’Ancien Testament. Ces miracles également nous démontrer le pouvoir du Christ sur la vie et sur la mort.
La profondeur spirituelle de cet épisode est de nous démontrer le pouvoir du Christ sur la vie et sur la mort
L’épisode se situe dans le pays des Gadaréniens, une terre païenne. Cela n’est pas sans importance. Le saint évangéliste Matthieu, à la différence de Marc et de Luc, mentionne deux démoniaques. Ceci est un détail symbolique, qui fait allusion d’une part aux deux témoins requis par la Loi pour témoigner d’un fait, et d’autre part, aux deux peuples que le Messie est venu sauver : les Juifs et les païens.
La venue du Fils de Dieu en ce monde avait précisément comme but de libérer les captifs des enfers et de donner la vie éternelle au monde
Par ailleurs, il est significatif que les démoniaques résidaient dans des tombeaux. Les tombeaux sont le lieu pour les morts. Dans le langage biblique, cela signifie que les démoniaques n’appartenaient plus au monde des vivants. Par ailleurs, en s’indignant que le Christ est venu en quelque sorte les déranger « avant le temps », ils témoignent de l’opposition, d’un côté du ciel qui est le Royaume de Dieu, et de l’autre, des enfers qui sont le domaine des démons. Or, la venue du Fils de Dieu en ce monde avait précisément comme but de libérer les captifs des enfers et de donner la vie éternelle au monde. Autrement dit, ceux qui se soumettent aux puissances démoniaques vivent dans le péché et la mort, et seul Dieu peut les délivrer de cette captivité.
Dieu, dans son dessein de sauver le monde, respecte toujours la liberté de l’homme et ne peut rien faire sans la collaboration de ce dernier
Il est remarquable que les démons demandent au Christ de les envoyer dans le troupeau de porcs. Cela montre bien que Dieu, même dans son dessein de sauver le monde, respecte toujours la liberté de l’homme et ne peut rien faire sans la collaboration de ce dernier. Le Christ ne pouvait pas forcer les démons à quitter les possédés pour aller dans le troupeau de porc sans leur accord. De même Dieu ne peut contraindre personne à être sauver. Le salut est certes un don de Dieu, mais il implique la coopération avec Dieu de ceux qui sont sauver. C’est pourquoi saint Paul nous enseigne : « En tant que coopérateurs de Dieu, nous vous exhortons encore à ne pas laisser sans effet la grâce reçue de lui » (2 Co 6, 1).
Les démons sont précipités dans un troupeau de porcs. De nouveau, le langage biblique qui est symbolique veut nous montrer à quoi ressemblent ceux qui ne luttent pas contre les démons, c’est-à-dire ceux qui ne mènent aucune lutte spirituelle. En effet, si nous ne nous exerçons pas par l’ascèse, par la prière et par le jeûne, à combattre les mauvaises pensées, à maîtriser nos passions et si nous ne nous efforçons pas de collaborer avec la grâce reçue de Dieu, nous cessons d’être véritablement des hommes, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous perdons de vue cette ressemblance et cette image devient ternie en nous, et nous nous abaissons au rang d’animal, et plus encore, au rang d’animal considéré comme le plus sale et le plus impur dans la Bible, à savoir celui des porcs.
Si nous ne nous exerçons pas par l’ascèse, par la prière et par le jeûne, à combattre les mauvaises pensées, à maîtriser nos passions et si nous ne nous efforçons pas de collaborer avec la grâce reçue de Dieu, nous cessons d’être véritablement des hommes
Les puissances démoniaques sont dont des puissances qui barrent la route à l’humanité en nous empêchant d’aller vers Dieu et de participer à sa vie éternelle et bienheureuse. Mais voici que le Fils de Dieu incarné vient « avant le temps », c’est-à-dire avant la lutte et la victoire de la fin des temps, libérer l’humanité de la captivité du péché et de la mort. Cette libération, c’est-à-dire ce mystère du salut, s’est accomplie par la mort et la résurrection du Christ. En ce sens, nous pouvons voir dans le récit d’aujourd’hui une préfiguration de la Passion du Christ. Par Sa mort et Sa résurrection, le Christ a inauguré des temps nouveaux et a vaincu les forces du mal. C’est en effet ce Christ qui « par la mort a vaincu la mort », ce Christ victorieux que nous présente aujourd’hui l’évangéliste Matthieu dans son récit de la guérison des deux démoniaques.
Nous pouvons voir dans le récit d’aujourd’hui une préfiguration de la Passion du Christ
En vainquant les puissances du mal, en triomphant de la mort, le Christ veut nous rendre libres du péché et de la mort. Aujourd’hui se pose donc à nous la question : acceptons-nous, nous aussi, cette libération du péché et de la mort, ou préférons-nous rester captifs des puissances du mal, captifs de nos passions, captifs de nos pensées mauvaises ? Acceptons-nous de vivre avec lui, en nous unissant à Dieu chaque jour de notre vie par la prière et les saints mystères de l’Église, ou préférons-nous, comme le faisait jadis les démoniaques, gésir dans le sépulcre du péché et de la mort ? Acceptons-nous de coopérer avec Dieu en faisant fructifier la grâce reçue de lui, ou préférons-nous au contraire chasser loin de nous Celui qui nous libère du mal et nous donne accès à la vie éternelle en Dieu ?
En ce dimanche, prions d’être toujours rendus digne de ce grand mystère du salut, et de devenir d’authentique collaborateurs de Dieu, en faisant fructifier la grâce reçue de Lui par les sacrements de l’Église, en combattant nos passions et nos mauvaises pensées, en nous unissant à lui quotidiennement par la prière, en nous astreignant au jeûne, afin de vivre en Lui et avec Lui, afin d’entrer dans Son Royaume, où lui revient gloire et adoration dans les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos