Nous poursuivons notre progression à travers ce temps du Carême et nous rapprochons de la lumineuse fête de Pâques. Dans l’évangile que nous venons d’entendre, le Christ, accompagné de ses disciples en route pour Jérusalem, annonce pour la troisième fois sa mort et sa résurrection : « Voici que nous montons à Jérusalem. Le Fils de l’homme sera livré aux chefs des prêtres et aux scribes, ils le condamneront à mort, ils le livreront aux païens, ils se moqueront de lui, ils cracheront sur lui, ils le flagelleront et le tueront, et trois jours après, il ressuscitera » (Mc 10, 33-34).
Parmi les disciples, les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, qui pourtant ont été témoins de la glorieuse Transfiguration du Christ, rêvent peut-être encore à la restauration d’un royaume terrestre par un Messie politique. C’est pourquoi ils lui demandent : « Accorde-nous […] de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire » (Mc 10, 37). La réponse de Seigneur les renvoi à la réalité de la Passion imminente : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ? » (Mc 10, 38). Le Christ évoque ici clairement le calice de la passion, qu’Il acceptera pour que la volonté du Père soit faite.
Le Christ se présente non pas comme un roi, mais comme un serviteur
Jacques et Jean, comme les autres disciples, ne comprenaient donc pas la logique du Seigneur. Cyrille d’Alexandrie écrit à ce propos : « Les disciples étaient tombés dans la faiblesse humaine et discutaient entre eux sur qui était le chef et supérieur aux autres […]. Cela est arrivé et nous a été raconté à notre profit […]. Ce qui est arrivé aux saints Apôtres peut nous servir d’encouragement à l’humilité » (Commentaire sur Luc, 12, 5, 24. PG 72, 912).
Quel est donc l’enseignement que nous pouvons tirer de l’évangile de ce dimanche ? Le Christ se présente non pas comme un roi, mais comme un serviteur. Le Maître de l’univers vient s’humilier pour devenir serviteur. Il est en vérité ce serviteur souffrant qui fut annoncé par le prophète Isaïe. Ce dernier présente, sans le nommer, un certain Serviteur du Seigneur au destin de plus en plus tragique (Is 42-53). Ce Serviteur se fait entre autre arracher la barbe et cracher au visage. Il est maltraité, mais il reste silencieux « comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir ». Sous ses traits, la Tradition chrétienne a reconnu une prophétie de la Passion du Christ. Le Serviteur souffrant d’Isaïe est non seulement la lumière des nations (Lc 2, 32), mais aussi le sacrifice offert une fois pour toute (Hb 9, 12). C’est le Christ qui offre sa vie en expiation, qui accomplit le rôle du prêtre et de la victime, « Celui qui offre et qui est offert » en sacrifice rédempteur.
Le Christ est le serviteur souffrant annoncé par le prophète Isaïe
Le Christ affirme en effet dans l’évangile d’aujourd’hui, après avoir annoncé sa prochaine mort et résurrection, en parlant de lui-même : « Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs » (Mc 10, 45). Nous retrouvons d’ailleurs plus loin dans l’évangile de Marc la parabole bien connue de la vigne qui elle aussi nous décrit le Christ comme serviteur souffrant (Marc 12, 1-12). Un homme qui avait planté la vigne l’avait confiée à des vignerons. Au moment de la récolte, il envoya des serviteurs pour chercher le produit de la vigne, mais les vignerons renvoyèrent les serviteurs. Il envoya un autre groupe de serviteurs, mais ils les tuèrent. Il envoya encore d’autres serviteurs, mais ils les repoussèrent tous. Finalement, le propriétaire dit : « J’enverrai mon propre fils unique, ils auront du respect pour lui ». Malheureusement, lui aussi fut tué. Dieu a donc envoyé Son Fils unique dans le monde comme Son serviteur parce que le Fils est le serviteur de Dieu. Il est la véritable personne du serviteur de Dieu, le Fils de Dieu.
Devenir disciple du Christ signifie accepter d’être un serviteur comme Lui
Le Fils de Dieu qui s’est incarné est le véritable Serviteur du Seigneur. Il est venu pour accomplir la volonté du Père. Et ainsi, Il nous a donné un exemple, à nous tous qui désirons le suivre. Dans l’Évangile de Jean, Il nous dit : « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera » (Jean 12, 26). Les lectures de l’évangile des semaines précédentes nous ont appelé à suivre le Christ, à devenir disciple du Christ. Elles nous ont invité à renoncer à nous-même, à prendre notre croix, et à le suivre. Mais devenir disciple du Christ signifie accepter d’être un serviteur comme Lui. C’est pourquoi le Christ instruit ses disciples : « Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l’esclave de tous » (Mc 10, 42-44).
A l’image du Christ — Serviteur souffrant, le véritable disciple du Christ est un serviteur qui devient « l’esclave de tous ». Ceci implique que nous devons non seulement servir les autres, à l’exemple de la diaconie mise en œuvre par le Christ, mais savoir nous humilier, nous abaisser, recevoir des coups, être maltraités. Saint Jean Chrysostome résume ainsi tout cet enseignement salvifique : « Nous le savons : avant l’Incarnation du Christ et son abaissement, tout était perdu, tout était corrompu ; mais, après qu’il se fût humilié, il a tout relevé. Il a aboli la malédiction, détruit la mort, ouvert le Paradis, mis à mort le péché, déverrouillé les portes du ciel pour y ramener les prémices de notre humanité. Il a propagé la foi partout dans le monde. Il a chassé l’erreur et rétabli la vérité. Il a fait monter sur un trône royal les prémices de notre nature » (Homélie contre les Anoméens, 8, 6. PG 48, 116-111).
Puissions-nous, nous aussi, en suivant et en imitant le Christ — Serviteur souffrant, hériter de ce Paradis, être délivrés du péché et de la mort, et entrer dans Son Royaume céleste où lui revient gloire et adoration avec Son Père sans commencement et Son Esprit bon et vivifiant, dans les siècles des siècles. Amen.
— Archevêque Job de Telmessos